La poupée et la carnivore

        Le soleil me tapait sur la tête. Il était tout haut, tout chaud. Il devait être midi, peut-être. Je n'ai pas cessé de marcher depuis la veille, depuis mon réveil. Je crois que je ne sens même plus mes jambes, ni mes pieds. Pourtant, je suis pied-nu. Je me regarde un instant : je vois toujours mes innombrables bracelets et grelots sur mes poignets, mes chevilles, mon ventre, mes bras et mon cou. Je ne passe pas inaperçue avec ça, je fais du bruit et mes bijoux sont en or. Qui ne voudrait pas venir me les voler. Je ne sais même pas si je serais capable de m'enfuir de cette situation là, si elle venait à moi.

Mon regard est attiré par une minuscule pousse d'herbe devant moi. Je m'arrête, je reprends mon souffle puis je me baisse lourdement sur le sol, genoux à terre. Je place ma lance sur le côté et je courbe mon dos afin de regarder de plus près cette pousse. N'étais-je pas dans un paysage aride avant ? Ai-je finalement enfin commencer à atteindre l'Occident ? Je redresse mon dos et mon regard se relève vers l'horizon. Du fait que j'ai peu mangé et bu, je ne sais pas si ce que je vois est réel. Je vois qu'une étendue de verdure se présente devant moi, beaucoup plus loin ceci dit. Soudainement, une brise me caresse le visage. Je ressens de plus en plus cette fraîcheur. Il semblerait que je passe de l'été au printemps, c'est étrange.

Je reprends durement ma lance pour m'aider à me relever, je peine à le faire. Mes pensées commencent à être allégées. Étrangement, je me dis que c'est la fin et que je vais pouvoir commencer une nouvelle vie. Mes pas traînent sur le sol, je suis à bout de force. Cependant, je suis heureuse de voir cette verdure s'intensifier à chacun de mes pas. Cela me chatouille la plante des pieds, c'est agréable. Mon visage est caché par une cascade de cheveux de jais. Je n'ai pas pris le temps de me faire une beauté avec tout ça, cela doit être déplorable. Lorsque j'arriverais à un village, je m'arrêterais pour me reposer. Il le faut.

Je ralentis considérablement. Ma respiration n'arrive plus à trouver de souffle et je commence à tourner de l’œil. Mes pieds s'entremêlent et ceci me fait tomber à terre. Je ne peux plus bouger, je n'en ai plus la force. Mon ventre me fait mal et ma gorge est sèche. Je ne peux pas crier à l'aide. Pourtant, j'ai vu un village, pas si loin que ça. Pourquoi faut-il que je n'ai plus de force au moment où j’atteins mon objectif ?

Ces mots résonnèrent dans ma tête. Mes yeux étaient ouverts, ils parcourraient la pièce où j'avais atterri. Elle était petite mais agréable, chaleureuse. Je ne réalisais pas encore que j'étais dans un lit bien moelleux. Pourtant, j'en ressentais bien le bénéfice que cela m'apportait : je m'étais enfin reposée après un si long voyage.

Je tiquai enfin à cette jeune demoiselle et je m'attardais à la regarder sans lui répondre aux premiers abords. Elle semblait de plus en plus mal à l'aise au fait que je ne le fasse pas mais ce n'était en aucun cas mon intention. Je finis par entrouvrir mes lèvres mais aucun son ne sortit. J'étais assoiffée, ma gorge me faisait si mal.. Elle me serrait les cordes vocales. C'est alors qu'elle m'aida à me relever sur le lit pour que je puisse boire correctement. Cela me fit un bien fou. Elle me faisait boire par quelques petites gorgées, et ces dernières étaient très fraîches. Un sourire cassa mon visage fatigué. Je portai une main sur mon ventre découvert au son d'un gargouillement immonde puis je regardai cette jeune demoiselle.

« Bonsoir, Malika... Je m'appelle Dunya Talhi Elaheh Musta'sim, disais-je avec un léger soupçon d'amusement. Mais m'appeler Dunya est plus facile, j'imagine. Je...peux savoir où je suis ? »

Mon regard s'encra dans le sien, l'ambré et l'azur se mariaient à merveille. Cependant, j'étais sincère. Où étais-je ? Que m'était-il arrivé ? Un trou noir gênait mes souvenirs.

Oh nom d'un chat miaulant que c'était bon de manger. Si j'avais du faire la fine bouche, j'aurais dit que c'était trop doux. Mais je devais me faire à cet environnement désormais, le désert n'était plus. Le désert n'était plus... Oui, je me souvenais de la raison de mon départ. Je n'arrivai pas à mettre une autre cuillerée dans ma bouche, je m'arrêtai. Mes yeux s'assombrirent un instant, ce n'était pas de très bon souvenirs. Je restai ainsi durant environ cinq secondes avant qu'elle ne m'interpelle. Je tiquai et je revenai à regarder ses yeux d'un bleu transparent. Je feins un sourire.

« Merci beaucoup de vous être occupée de moi... Je dois dire que vous m'avez sauvée la vie, Malika. Je vous en suis reconnaissante. Si je peux faire quelque chose.. Je le ferais. Dans tous les cas, je ne peux pas retourner là d'où je viens. » me rappelais-je en même temps.

Je revins à mon plat avant de constater que j'avais absolument tout englouti. J'avais si faim que ça ? Mon ventre gargouillait encore. Malika avait heureusement une autre ration, elle me rendait heureuse ! Et éperdument rassurée. Cependant, je voyais dans ces yeux qu'elle était curieuse. Et elle avait envie de savoir ce que je foutais là... J'aurais probablement fait la même chose à sa place.

« Vous ne savez pas ce qu'il se passe dans la contrée orientale, n'est-ce pas ? »

Je déposai ma cuillère sur mon plat et j'attendis une réponse de la jeune demoiselle. Elle est visiblement une fermière mais on sait jamais, peut-être qu'elle est au courant de cette situation. 

Je me revoyais là, en face d'une maison qui n'était plus la mienne. Elle était dévastée et saccagée, horrible. Je me revoyais à nouveau faire tomber tout le linge que je tenais. Mon regard s'était tourné derrière moi et...

« Les Sables Noirs, une grande tribu nomade, ont pris absolument tout le pouvoir dans tout l'Orient. Ma tribu a été... rayé de l'histoire. Nous étions une tribu de nomades nous aussi, qui aurait cru que nous tomberions sur ces fichus Sables Noirs ? »

Mon ton se faisait des plus obscures à la mention de ce nom. Si jamais j'avais à les rencontrer, ou rencontrer simplement un de leur gars, je ferais tout pour me venger. Je regardai mes mains quand je lui racontais ça, sûrement car je voyais toujours mon panier de linge de rempli. Je poursuivis alors.

« Certes, ma tribu n'était pas des plus fortes non plus. C'est une tribu composée que de femmes. Nous sommes donc rusées. Cependant, ils ont du venir en tas pour... Peu importe. Moi, je n'étais pas là à cet instant là. Dès que j'ai su ça.. Il me fallait partir. »

Je ne faisais pas la fière, oh non. Lorsque je relevai mes yeux pour regarder Malika, je vis une certaine compassion dans son regard. Elle regarda un instant par la fenêtre, sûrement pour regarder ses champs ou sa ferme. Peut-être même s'imaginait-elle à ma place ? Non, il fallait l'avoir vécu.

Retourner à l'extérieur, hein ? Je tiquai. Je voulais au moins m'asseoir sur le lit mais je ne pus que bouger mes orteils et mes doigts. Mon corps ne m'obéissait pas, j'étais à ce point fatiguée. Je devais avoir de grosses cernes également. Alors, tout ce que je fis est d’acquiescer à ses dires avant d'ajouter :

« Je..crois que c'est une excellente idée. Qui plus est.. je ne sais même pas où aller. J'erre, comme..tu le dis. Je n'ai aucun objectif mis à part le fait de survivre et de.. de trouver un homme. »

Je laissai un petit temps avant de reprendre.

« Tu souhaiterais avoir de mon aide pour ta ferme, c'est ça ? »

Je n'avais pas de mal à la tutoyer, c'était quelque chose d'innée chez moi. Je ne savais pas si ça la gênait ou quoi... Elle se contenta de tourner la tête pour me regarder avec le sourire le plus gentillet que j'avais pu voir de toute ma vie.